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Partage de nos voyages en famille en Mongolie centrale, en Equateur, en Aragon (Espagne), en Islande, au Myanmar

18 Apr

Brésil, 20/11/2019 : le tatou

Publié par Picpic70

    Après le petit déjeuner, tandis que Peter est déjà aux écuries, Rosi vient nous parler. Elle nous annonce qu'elle a téléphoné à l'autre fazenda pour annuler la réservation de ce soir, et que la femme lui a dit qu'elle comprenait parfaitement, que de toutes façons le client est roi. Ce à quoi Rosi lui a répondu que le changement de programme n'était pas à la demande des touristes, mais bien à celle de Peter. Elle ajoute, en baissant la voix et en regardant du côté de la porte qui mène à l'étable, qu'elle le soupçonne d'avoir souhaité rester ici pour profiter d'internet. Les grands esprits se rencontrent, Peter le geek est démasqué ! Je remercie chaleureusement Rosi pour avoir compris la situation et je la glorifie intérieurement pour son intelligence de cœur et d'esprit. 

 

    Alors que nous sommes tous réunis dans l'atelier pour enfiler nos chaussures, Elvio enfile soudain un sac d'engrais en plastique sur son dos. Devant notre air ébahi et interrogateur, il précise que c'est pour éviter les éclaboussures de boue de Mélanie … avant d'éclater d'un rire sonore et communicatif ! Elvio 1 - Mélanie 0

Quelques minutes plus tard, Rosi confie à Mélanie les sacoches de selle et la machette d'Elvio pour qu'elle les lui porte. Perfide, Mélanie ne lui donne que les fontes, barbote la machette et la glisse discrètement à sa ceinture. Elle s'attend à ce qu'Elvio se rende compte de l'absence de sa lame à sa taille, ou de sa présence à celle de Mélanie, mais les minutes s'écoulent et rien ne se passe. Nous montons à cheval et partons dans les plaines, Elvio ne s'aperçoit toujours de rien. De guerre lasse, Mélanie s'approche de lui à cheval et lui demande ce qu'il a fait de sa machette. Il porte la main à sa ceinture, découvre alors son oubli et semble désemparé durant quelques instants. Mélanie en profite alors pour faire pivoter sa monture et présenter à Elvio son flanc qui porte le coutelas. Il éclate alors de rire et lui laisse en récompense de cette bonne farce l'honneur d'arborer la machette jusqu'au retour à la fazenda. Elvio 1 - Mélanie 1

 

Brésil, 20/11/2019 : le tatou

    Mon cheval du jour se dénomme Maju, c'est un splendide criollo gris souris à l'encolure épaisse, au port altier et à la crinière en brosse. Il est à la fois musclé et rondouillard à souhait, énergique et docile, ses démarrages au galop sont fulgurants et me scotchent dans ma selle.

Nous traversons à nouveau la plantation de pins américains dont les fûts rectilignes s'élèvent vers les cieux telles les colonnes d'un temple grec. Seules les branches du faîte sont encore vertes et souples, les autres sèchent et tombent au fur et à mesure de la croissance de l'arbre. La lumière peine à pénétrer jusqu'à moi, les épines de pin amassées en épais tapis sur le sol absorbent les sons et notamment le bruit des sabots sur le sol, faisant ressembler cet endroit à une forêt fantôme. Cet endroit est à la fois apaisant et inquiétant, je peux sentir, presque entendre mon cœur qui bat dans ma poitrine tellement ma perception auditive est modifiée. Les ondes sonores sont comme annihilées, phagocytées par l'écorce des arbres, l'air semble stagner au même endroit depuis des décennies, les rayons du soleil paraissent comme effacés et même les couleurs feignent l'absence en ce lieu tout droit sorti d'un monde parallèle.

Brésil, 20/11/2019 : le tatou

    Je sors de la forêt fantôme comme on sort d'une narcose, pas tout à fait la même et les sens légèrement engourdis. Je cligne des yeux en retrouvant la vive lumière du jour et discerne à nouveau les pépiements des oiseaux, l'air qui emplit mes poumons me semble plus léger. Je n'ai guère le temps de m'appesantir sur cette impression de flottement car les deux chiens de berger qui nous accompagnent se précipitent en aboyant dans un fourré. Je ne tarde pas à entendre les grognements d'une bagarre puis à les voir se disputer un butin, chacun tirant énergiquement de son côté, espérant l'emporter et s'enfuir avec la prise. Je fais rapidement le rapprochement avec les nombreux terriers de tatous que nous apercevons régulièrement dans la campagne et tente de distinguer l'objet de convoitise des chiens. L'un des deux parvient finalement à décamper avec la proie qui s'avère être effectivement le petit mammifère recouvert d'une carapace. Rodrigo, l'employé d'Elvio, descend de son cheval et part à la poursuite du chien et de  sa prise. Après plusieurs manœuvres d'approches infructueuses, il parvient enfin à atteindre le chien et à récupérer le fruit de la rapine. Le tatou est encore en vie mais en bien piteux état, il saigne abondamment de l'abdomen et n'a déjà plus la force de se débattre. Tout en connaissant par avance la réponse, je demande à Elvio s'il a une chance de s'en sortir. En guise de réponse, celui-ci secoue la tête de gauche à droite et, afin d'abréger ses souffrances, l'achève d'un bon coup de cravache derrière les oreilles. Rodrigo l'attache alors aux lanières de cuir qui pendent de sa selle et Elvio m'explique que Rosi sait très bien préparer le tatou et que nous allons donc le manger ce soir au diner. Nous reprenons notre route et je me surprends à sourire lorsque je fais le point sur la situation : je suis à cheval, dans une contrée reculée du Brésil, en train de suivre mon repas de ce soir, à savoir un tatou couvert de sang attaché derrière la selle d'un gaucho. Je crois que niveau authenticité, il est difficile de faire mieux ! J'ai de la peine pour ce petit animal bizarre qui semble être un croisement entre une souris, un éléphant, une taupe, un char d'assaut, une fouine et un crocodile, mais maintenant qu'il est mort, autant qu'il nous serve de diner plutôt que de pourrir dans la campagne. Alors hardi petit, en route pour une nouvelle expérience gustative !

Brésil, 20/11/2019 : le tatouBrésil, 20/11/2019 : le tatou
Brésil, 20/11/2019 : le tatou

    Afin d'éviter une branche basse, Rodrigo se penche sur le côté de sa monture. Entrainée par son poids, sa selle bascule sur le flanc du cheval et le jeune homme dégringole d'un étage. Comme de bien entendu, Elvio rigole, et nous patientons tous quelques minutes le temps que Rodrigo remette en place tapis, selle, sangles, moumoute et tatou. 

 

    Nous poussons lentement une quarantaine de vaches pour les ramener à la fazenda. L'une d'entre elles s'écarte du troupeau et se faufile dans des buissons denses. Peter et moi continuons à guider le bétail sur le chemin tandis que Rodrigo, Elvio et Mélanie partent à la poursuite de la fuyarde. Ils nous rejoignent une demi-heure plus tard, bredouilles. La vache rusée a réussi à les semer et, comble de malchance, le lien de cuir qui retenait le tatou attaché à la selle de Rodrigo s'est rompu, nous avons perdu notre festin. Ne vous méprenez pas, je ne souhaitais aucun mal à ce pauvre tatou, mais une fois mort, j'aurais préféré qu'il termine dans mon ventre plutôt que dans celui des fourmis ...

Brésil, 20/11/2019 : le tatouBrésil, 20/11/2019 : le tatou
Brésil, 20/11/2019 : le tatouBrésil, 20/11/2019 : le tatou

    Rosi nous a préparé une surprise pour le déjeuner : une caïpirinha, une vraie de vraie. Cachaça, citron vert et sucre, le mélange est absolument délicieux et le contenant gigantesque ! La tradition veut que nous buvions à tour de rôle dans ce verre aux dimensions de pichet, ce que je fais de bon cœur. Comme d'habitude, Mélanie est plus modérée que moi en ce qui concerne la consommation d'alcool, il en faut bien une pour rattraper l'autre … Histoire de la décharger de toute culpabilité et de ne pas vexer nos hôtes, je bois pour deux. Nous formons une bonne équipe, nos forces et faiblesses s'équilibrent : à elle le poisson, à moi la caïpirinha !

 

Brésil, 20/11/2019 : le tatou
Brésil, 20/11/2019 : le tatouBrésil, 20/11/2019 : le tatou

    Le repas est encore une fois succulent et généreux, Rosi est une excellente cuisinière et ne ménage pas ses efforts pour nous sustenter. Le déjeuner comporte du manioc bouilli, du riz, du ragout, des haricots noirs, des boulettes de viande et une sournoise et exquise petite sauce aux piments. Perfide, celle-ci ne pique pas tout de suite, aussi me sers-je plutôt généreusement. Quelques minutes plus tard, je commence à transpirer abondamment sous l'effet du pili-pili, ce qui fait bien rire le maitre de maison.

A peine le repas fini, Elvio donne le signal du départ, nous partons chercher un nouveau lot de vaches sous une chaleur écrasante. L'amplitude thermique est vraiment surprenante entre le jour et la nuit, on passe sans transition du congélateur au four. Peter nous informe que, puisque nous avons l'air de bien nous débrouiller pour communiquer avec Elvio, il ne vient pas avec nous cet après-midi. Il préfère (ce sont ses propres paroles), faire la sieste et surfer sur le web. Sa défection confirme bien ce que Rosi, Mélanie et moi pensions de sa manigance pour rester à la fazenda d'Elvio où il jouit du wifi. Sans qu'il ne l'admette, il est accro à internet et je ne lui pardonne toujours pas de s'être servi de nous pour arriver à ses fins et perturber le programme de Rosi et d'Elvio.

 

    Impressionné par le sens de l'orientation de Mélanie qui a retrouvé la cape de pluie de Peter hier, Elvio lui demande si elle se sent capable de retrouver le tatou perdu ce matin. Vu la peine qu'il se donne pour remettre la main sur le petit animal, j'ai comme l'impression qu'Elvio adoooore le tatou en croute de manioc. Ça ne mange pas de pain d'essayer et nous sillonnons les broussailles à la recherche du petit mammifère, malheureusement sans succès. Bon, et bien pas de tatou ce soir, j'aurais pourtant volontiers ajouté cette chair inconnue à la liste de mes expériences gustatives sortant de l'ordinaire. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, j'imagine qu'il ne sera pas perdu pour tout le monde et satisfera quelques petits et gros charognards.

 

    Tandis que nous ramenons un lot de vaches avec Rodrigo, l'une d'entre elles se fait la malle et gravit le flanc escarpé de la colline en quelques enjambées. Prompte comme l'éclair, Mélanie lance son cheval dans la pente et part à la poursuite de la fuyarde, ce qui représente une belle prouesse cavalière car le dénivelé est important à cet endroit, la végétation très dense et le sol jonché de pierres. Au prix de gros efforts, elle finit par rejoindre la fugitive et la guide non sans mal vers le droit chemin. Mélanie arrive à sa suite, très fière  de son exploit et bombe le torse tandis que Rodrigo détaille la bête de plus près et fronce les sourcils en secouant doucement la tête de gauche à droite : "Tu peux la laisser filer, lui dit-il, c'est la vache du voisin !" . Je suis morte de rire, Mélanie a failli rester accrochée dans les buissons ou glisser dans la pente pour finalement être accusée de vol de bétail, malchance quand tu nous tiens ...

 

Brésil, 20/11/2019 : le tatouBrésil, 20/11/2019 : le tatou

    Après avoir ramené ce lot, nous repartons une dernière fois dans les pâtures, à la recherche de la vache et du veau qui nous ont échappé ce matin et sont à l'origine de la perte du tatou. Rodrigo finit par localiser l'impétrante et nous commençons à la pousser gentiment dans la bonne direction. Mais la coquine n'a pas du tout l'intention de rentrer à la fazenda et elle nous fait quelques échappées bien senties, pour notre plus grand bonheur puisque cela nous oblige à réagir prestement pour lui barrer la route ou à lui partir après au galop. Maju est un excellent cheval, il a l'intelligence du terrain associée à la vivacité du travail, je me régale à le lancer à la poursuite de la récalcitrante. Finalement, comme dit Mélanie, cette vache ci nous aura donné plus de fil à retordre que les 40 autres de ce matin !

Brésil, 20/11/2019 : le tatouBrésil, 20/11/2019 : le tatou
Brésil, 20/11/2019 : le tatou

    A défaut de tatou, nous mangeons ce soir de délicieux chaussons à la viande préparés par Rosi avec les rogatons carnés des derniers jours. Rosi prépare toujours à manger pour un régiment et nous évitons de justesse matin, midi et soir l'implosion métabolique par surconsommation de plats tous meilleurs les uns que les autres ...

Brésil, 20/11/2019 : le tatou

    Après le repas, Elvio nous montre sur son téléphone une photo qu'il a prise cet après-midi. Tandis que nous parcourions la campagne en compagnie de Rodrigo afin de changer des lots de vaches de pâture, Elvio s'est rendu à Urubici pour régler diverses affaires. Arrêté en chemin par un voisin, il est allé lui prêter main forte pour éliminer trois jararacas dont l'une d'entre elle était à l'intérieur de la maison. La plus grande mesure presque deux mètres de longueur, son corps épais et musculeux est sombre, veiné de gris. Mélanie frissonne d'horreur à la simple vue de la photo, sa phobie des serpents ne semble pas encore en voie de guérison. Quant à moi, je suis très partagée entre la raison, qui me dicte qu'il serait effectivement bien peu sensé de garder en vie à proximité immédiate de chez soi des animaux d'une telle dangerosité, et la tristesse que ces beaux animaux ne soient plus que des dépouilles inertes. Il serait malhonnête de ma part de m'insurger contre le meurtre de ces reptiles, moi qui ne fais que passer et n'ai pas dans cette contrée sauvage de famille ou d'animaux à protéger du mortel venin. Sans la cautionner véritablement, j'accepte la chose telle qu'elle doit l'être : je suis venue partager le quotidien de ces gens, je dois accepter leur façon de vivre sans la juger. Si j'agissais autrement, mon discernement serait obligatoirement faussé par mon expérience et mes conditions de vie qui sont à mille lieux des leurs. Autre pays, autres coutumes, c'est à moi de m'adapter. J'en profite au passage pour taquiner un peu Mélanie en lui recommandant de bien regarder sous son lit avant d'aller se coucher afin de vérifier qu'aucun reptile ne s'y trouve, elle me fait des yeux de chien battu, j'y suis peut-être allée un peu fort côté plaisanterie … Et pour ma part, même si je n'ai pas précisément peur de ces animaux, je suis quand même dotée d'un instinct de survie et depuis qu'Elvio m'a dit que les jararacas peuvent monter dans les arbres, il se pourrait que je fasse un peu plus attention demain, à cheval ...

Brésil, 20/11/2019 : le tatou
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