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Partage de nos voyages en famille en Mongolie centrale, en Equateur, en Aragon (Espagne), en Islande, au Myanmar

14 Mar

Brésil, 16/11/2019 : rodéo

Publié par Picpic70

    Pour la première fois, c'est la sonnerie du réveil qui me tire du sommeil ce matin et non les craquements du parquet sous les pas d'Elvio ou de Rosi comme les autres jours. Je m'extirpe avec difficulté du lit en frissonnant, moi qui croyais que je commençais à m'habituer à la température de ma chambre … Brrrrrr … Je me sens un peu moins chochotte lorsque Peter nous fait remarquer, au petit déjeuner, que le thermomètre est descendu en dessous de zéro cette nuit et que c'est la raison pour laquelle il y a encore de la gelée blanche ce matin. Mes visions de brésiliennes en monokini à paillette s'évanouissent définitivement ...

 

   Une activité originale nous attend aujourd'hui : nous allons au rodéo ! Elvio, son fils Joao et son petit-fils, Leandro, douze ans, participent aux épreuves qui se déroulent en équipe. Chaque membre du groupe porte une chemise et un bandana de la même couleur, et même Rosi est habillée aux couleurs de l'équipe. Pour celle d'Elvio, ce sera le vert pour la chemise et le jaune pour le foulard, qui est noué selon un procédé bien précis. J'observe du coin de l'œil Joao effectuer son nœud, puis aider son fils à faire le sien. L'opération parait ardue et le résultat est élégant, Joao prend bien garde que les deux extrémités du foulard qui ressortent de chaque côté du noeud soient de la même longueur. Je ressens dans ces préparatifs à la fois la précision de gestes solennels mille fois répétés et transmis de génération en génération, et à la fois la coquetterie virile des grands espaces où les regroupements humains sont tellement rares qu'ils incitent à se mettre sur son trente et un. Joao revêt ensuite la large ceinture de cuir traditionnelle par dessus son pantalon de toile bouffant aux coutures élaborées et décoratives. Un chapeau, des bottes de cuir, l'homme est prêt et a fière allure.

 

    Il est temps de charger les chevaux pour les emmener à Vacas Gordas, lieu du rassemblement pour cette fois-ci. Un rodéo a lieu chaque week-end du printemps jusqu'à l'automne, l'emplacement diffère chaque semaine, passant d'un village à un autre. Point de van mais une bétaillère, point de pont de chargement mais un monticule de terre et de gravats, tout semble simple ici. L'ouverture de la bétaillère est basse et les chevaux sont obligés de baisser la tête pour rentrer dans le véhicule. Tout se passe tranquillement jusqu'au moment où une grande jument noire refuse de monter dans la remorque. Il est vrai qu'elle est clairement désavantagée par sa grande taille et de toute évidence, quitter la lumière du jour et le grand air pour rentrer dans cet espace sombre et réduit ne lui sied guère. Elle hésite, recule, avance, piétine, calcule, barguigne mais rien n'y fait. Elvio et son fils l'encouragent de la voix, du geste, d'une pression sur le licol, ils l'incitent à surmonter sa réticence mais malgré tous leurs efforts, elle bloque toujours et refuse de rentrer dans la bétaillère. Elvio décide alors de changer de tactique, il délaisse la jument quelques instants, le temps  de tendre un peu plus la corde qui relève la porte de bois. L'ouverture s'agrandit alors d'une vingtaine de centimètres et en quelques secondes le miracle s'accomplit : l'animal rentre d'un pas fluide dans la remorque, comme si tous les moments d'hésitation précédents avaient été balayés par ces quelques centimètres supplémentaires. Côté humain, tout s'est passé dans le calme et le respect de l'animal, Elvio et son fils ont fait preuve de patience et de réflexion jusqu'à trouver la solution à leur problème.

    Un deuxième cheval pose quelques difficultés pour rentrer dans le camion. En revanche, celui-ci ne se contente pas d'hésiter, il regimbe fortement en reculant, entrainant à sa suite Elvio pendu au bout de la longe. Devant ce comportement dangereux et irrespectueux, Joao lui assène un bon coup de cravache sur la croupe. L'analyse de Mélanie me semble juste : Elvio et son fils admettent parfaitement qu'un cheval puisse avoir des doutes ou des frayeurs, qu'il hésite avant de se lancer dans quelque chose de nouveau ou d'inquiétant, par contre, ils n'acceptent pas la rétivité qui met en danger l'humain et traduit un manque de respect vis-à-vis de ce dernier. La patience et de douces sollicitations viennent à bout de l'incertitude, mais une juste punition met un terme à la rébellion avant que celle-ci ne devienne la règle et ne conduise à la répétition de nuisibles comportements d'insoumission. 

 

    Une fois les chevaux chargés, Elvio se met lentement en route au volant de la bétaillère en direction de Vacas Gorgas. Nous montons dans le 4x4 et Rosi nous emmène au rodéo au son de la musique gaucho. L'ambiance est bon enfant, je sens bien que cette sortie hebdomadaire est une fête, qu'elle est importante pour Elvio et Rosi car elle leur permet d'échapper au quotidien, de rencontrer d'autres personnes, moments d'échanges indispensables dans ces contrées rurales où chacun est isolé et éloigné de ses voisins et amis.

Nous arrivons en même temps que la bétaillère et le déchargement est tout aussi sommaire que l'embarquement. Elvio recule le camion contre la colline et sort les chevaux les uns après les autres. Il y a un petit mètre d'écart entre le plancher de la bétaillère et le sol, aussi les chevaux sont ils obligés de sauter pour sortir du véhicule. L'un d'entre eux glisse à la réception et se tape le canon du postérieur contre le pare-chocs arrière, il avance sur quelques mètres en claudiquant, ce qui ne semble inquiéter personne d'autre que moi. Plus de peur que de mal finalement, car le cheval finit par retrouver toutes ses facultés locomotrices en quelques secondes, il en est probablement quitte pour un bel hématome. Nous menons les chevaux qui ne doivent pas travailler immédiatement dans une vaste prairie et les lâchons dans l'enclos. Je découvre avec stupeur que tous les concurrents en font de même et que des chevaux de toutes origines sont par conséquent mélangés dans ce parc, indépendamment de leurs caractère et affinités. Encore une fois, ce qui est parfaitement impensable en France semble être absolument banal ici, à chaque cheval de trouver comment s'accommoder avec ses voisins. 

Le parc des chevaux est en hauteur et surplombe l'aire du rodéo, j'ai une vue plongeante sur les installations, ce qui me permet de me familiariser quelque peu avec les lieux. 

Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo

    J'observe en premier lieu les torils où patientent plusieurs lots de vaches, et, dans la continuité de ce corral, un vaste enclos rectangulaire où se tient le rodéo à proprement parler. Tout autour, des dizaines de camions sont rangés, protégés du soleil pour la plupart par de larges toiles plastiques multicolores. De là où je suis, deux choses m'interpellent immédiatement. Tout d'abord, la zone qui s'étend à mes pieds est un chassé-croisé permanent de véhicules, de cavaliers et de piétons. Il ne semble pas y avoir de règle de priorité particulière, la seule règle qui prévaut est celle du bon sens et tous ces gens paraissent s'entrecroiser en bonne intelligence. Ensuite, je suis saisie par la litanie du commentateur, relayée à un niveau sonore plutôt agressif par de nombreux haut-parleurs. Je me sens immédiatement plongée dans l'ambiance cow-boy et je suis effarée par le débit faramineux de l'homme au micro. Son dithyrambe tient plus d'une performance sportive que d'une allocution officielle, et si je ne l'entendais pas de mes propres oreilles, j'aurais vraiment du mal à croire que l'on puisse parler aussi vite et aussi longtemps sans aucune pause. Je me demande d'ailleurs comment ce speaker fait pour respirer au milieu de ce flot de paroles !

    Peter m'explique les principales règles du rodéo qui est pratiqué dans le sud du Brésil et est ici un sport bien plus populaire que le football.  Les concurrents participent en équipe de cinq ou six cavaliers selon des catégories d'âge : de 7 à 12 ans, de 12 à 16 ans et plus de 16 ans, la longueur des lassos différant d'une catégorie à l'autre. Un cavalier peut participer à une épreuve dans la catégorie supérieure, il ne peut en revanche participer à une épreuve réservée aux plus jeunes que lui. Les compétitions du matin ne sont ouvertes qu'aux équipes locales, celles de l'après-midi sont ouvertes à tous les participants, certains venant même de très loin. Les prix sont remis en numéraires et partagés entre tous les membres de l'équipe, quelles qu'aient été leurs performances durant le concours. La règle principale est assez simple : partant d'une extrémité du grand enclos rectangulaire, le cavalier s'élance au galop à la poursuite d'un vache en faisant tournoyer son lasso au dessus de sa tête. Il peut lancer son lasso à n'importe quel moment, mais doit le faire obligatoirement avant la ligne blanche matérialisée par un trait de craie au sol à l'autre bout du terrain. Le but du jeu est d'encercler avec le lasso les deux cornes de la vache, mais seulement les cornes, pas la tête ou le cou. La manœuvre est extrêmement difficile et requiert une précision diabolique, tous n'y parviennent pas. Chaque participant passe 3 fois et l'équipe gagnante est bien entendu celle qui a réussi à totaliser le plus grand nombre de lancers réussis.

    Les passages se suivent mais ne se ressemblent pas. Les cavaliers sont tous différents, de par leur âge, leur sexe (il y a quelques femmes au milieu de beaucoup d'hommes, mais elles ne déméritent pas), leur corpulence, leur façon de manier le lasso et de monter à cheval. Les chevaux sont également tous distincts, les robes vont de l'alezan au gris, en passant par le rouan ou l'aubère, certains s'économisent, obligeant leur cavalier à les talonner pour rester à la hauteur de la vache, d'autres filent à toute vitesse, grisés par la dynamique du jeu. Et, pour finir, les vaches sont aussi très disparates, tant par leur couleur et leur taille que par l'amplitude et l'orientation de leurs cornes. Leur comportement au sortir de la case de départ est imprévisible, ajoutant de la difficulté pour les concurrents et de l'intérêt pour les spectateurs : certaines sortent tranquillement, s'économisent et trottinent jusqu'à l'autre bout du terrain, d'autres jaillissent comme des fusées et parcourent la distance en un rien de temps, certaines feintent et tentent de zigzaguer ou de faire demi-tour, bref, toutes sont différentes, apportent de la diversité et obligent le concurrent à jauger la situation en un clin d'œil afin d'en tirer le meilleur profit.

Les concurrents se succèdent à un rythme effréné, chaque passage demande une logistique bien huilée. Je compte au bas mot une douzaine de personnes qui s'activent de toutes parts pour un seul passage : le juge au départ qui vérifie le diamètre du lasso et l'identité du concurrent, l'homme chargé d'ouvrir la porte de la case de départ pour que s'élance la vache, les nombreux vachers qui poussent les bêtes depuis la zone d'arrivée jusqu'au couloir qui mène à la case de départ, ceux qui enlèvent le lasso des cornes des vaches à l'arrivée, le juge de l'arrivée qui valide ou invalide la réussite du lancer, le commentateur ... Chacun s'active à sa tâche avec une précision d'horlogerie et l'enchainement des passages se fait incessamment, sans heurts. J'aime regarder ce ballet permanent, cette agitation de fourmilière qui entoure cet évènement hors du commun et j'adore la brève intensité de ce sport où chaque passage ne dure que quelques secondes. Je me repais de l'odeur du cuir, de la sueur et des vaches, du sifflement des immenses lassos dans l'air, de la vue de ces chevaux lancés à toute vitesse, de l'intensité du regard des participants qui cherchent l'instant unique. Je guette la moue de dépit des cavaliers ayant raté leur tir, la trajectoire facétieuse des vaches les plus malignes, l'élégance d'un chapeau, le rond parfait du lasso juste avant de toucher son but, la déformation des visages sous le coup de la concentration.

Une chose est certaine, tous les concurrents sont animés par l'esprit de compétition et du jeu, mais je les sens également très fiers de perpétuer ainsi leurs traditions au fil du temps. Cette fierté transparait dans un regard, dans un port de tête, dans le soin mis à nouer le foulard traditionnel, dans un mors étincelant, dans une crinière taillée au cordeau. Je discerne dans ces quelques secondes de course les siècles passés à s'occuper du bétail, la dureté de la vie, la difficulté du travail, la liberté de se satisfaire de choses simples. A part les canettes de soda ou les bouteilles de bière qui trainent au sol, rien n'a changé depuis longtemps, très longtemps.

Brésil, 16/11/2019 : rodéo
Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo

    L'ambiance est festive, outre sa portée sportive, le rodéo est aussi l'occasion de passer une journée en famille, de rencontrer des amis et de faire des affaires. Les véhicules des participants sont garés en épi le long du terrain, chacun s'installe et déballe sièges pliants, tables, glacière, gazinière à l'ombre d'une toile tendue depuis le toit du camion afin de passer la journée le plus agréablement possible. 

Un ami d'Elvio vient discuter quelques minutes, il transporte avec lui une calebasse de maté, boisson typique d'Amérique du Sud fabriquée à partir des feuilles d'un arbre de la famille du houx. La calebasse passe de main en main, et j'attends avec impatience mon tour car j'ai souvent entendu parler du maté sans jamais avoir eu l'occasion de le gouter. La surface de la boisson est recouverte de brisures de feuilles d'un vert intense et mousseux. J'aspire le liquide chaud par la bombilla, la paille métallique plantée au fond de la calebasse, et une douce amertume se répand dans ma bouche. Le goût végétal est très présent, sans être désagréable, je trouve ce breuvage ni bon ni mauvais, je qualifierais cette expérience gustative d'intéressante sans plus. En revanche, l'expérience humaine me plait, le maté est une boisson conviviale, une de celle que l'on déguste entre amis, un récipient qui tourne de main en main, une paille partagée entre tous, comme l'on partage un courant de pensée ou un bon moment. Le maté se veut amical, collectif, festif et j'imagine que chacun doit avoir un goût différent selon l'arbre d'origine, le degré de maturation de ses feuilles à la récolte, le procédé de séchage et la finesse de broyage des feuilles. J'apprécie énormément cet instant de partage et passe la calebasse à mon voisin ...

Brésil, 16/11/2019 : rodéo

    Bon, il va falloir penser aux choses sérieuses maintenant ! Rosi et Elvio nous emmènent au bar/restaurant/grill du rodéo : il s'agit en fait d'un grand bâtiment en moellons faisant office de buvette à gauche et de barbecue géant à droite et rempli ... d'un vide sidéral au milieu. J'imagine qu'en cas de pluie, le grand vide doit être moins vide mais toujours est-il qu'aujourd'hui, les choses intéressantes ne se passent pas au centre. Elvio se dirige vers la droite et nous entraine à sa suite. Plusieurs pieux de bois supportant chacun un bon morceau de viande crue de la taille d'un gigot sont plantés dans les creux des briques, attendant visiblement un acquéreur, tandis  qu'à quelques mètres brûle un feu d'enfer. Elvio regarde, soupèse, jauge les quartiers de viande et finit par en choisir deux qu'il présente au responsable du churrasco (barbecue brésilien format XXL). Le prix de la viande est ridiculement bas, les deux énormes quartiers coûtent l'équivalent de 30 € et il y a de quoi nourrir un régiment. Le responsable du brasero encaisse l'argent et inscrit le nom d'Elvio à l'extrémité des pieux de bois. Peter m'explique qu'en cas d'intoxication alimentaire due à une des pièces de bœuf, l'inscription du nom sur la pique facilite les démarche pour retrouver les victimes. Je suis fort étonnée qu'il existe ici, aux fins fonds du Brésil, ce type de traçabilité sanitaire, même si le mode d'enregistrement est plutôt rudimentaire. Devant mon air surpris Peter éclate de rire car, dans ma grande naïveté, je me suis faite avoir dans les grandes largeurs. L'inscription du nom ne sert pas (bien évidemment !) à retrouver d'éventuelles personnes intoxiquées, il sert juste à venir récupérer, après cuisson, le morceau de viande pour lequel on a payé et non pas celui du voisin. Ma niaiserie me surprendra toujours ...

Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo

    L'air mystérieux, Rosi nous invite, Mélanie et moi, à la suivre. Nous longeons la lice jusqu'à parvenir à l'extrémité où sont lâchées les vaches et d'où partent les cavaliers. Je crois dans un premier temps qu'elle veut nous montrer le couloir où les gauchos guident les vaches pour les amener dans la case de départ, mais que nenni, elle a d'autres projets pour nous. Pour mon plus grand bonheur, elle monte l'escalier qui conduit à la tour du commentateur et nous fait signe de la suivre avec un sourire. Je suis intimidée de rentrer ainsi dans le centre des opérations, j'ai le sentiment de pénétrer dans la tour de contrôle d'un aéroport. Je salue d'un sourire deux hommes qui s'affairent avec un tas de papiers à la main dans la première moitié du mirador, enjambe le grand trou dans le plancher histoire de ne pas redescendre à l'étage inférieur en un éclair et parviens dans la seconde partie du belvédère. Il est là, juste devant moi ! Le commentateur dont la voix infatigable m'accompagne depuis ce matin, est assis sur un simple tabouret de bois. Ne comprenant pas le sens de ses paroles au débit absolument phénoménal, son discours me fait l'effet d'un mantra, à la fois soporifique dans sa monotonie, apaisant dans sa régularité et irritant dans sa répétitivité. Côté performance, sa faconde a tout d'une véritable prouesse sportive, tant par son intensité que par sa durée. Il parle à une vitesse inouïe, sans jamais s'arrêter, tout en consultant ses papiers et annotant ses documents. Il a dû être femme dans une vie antérieure (hihihi) pour pouvoir faire autant de choses simultanément ! Tandis que je reste bouche bée devant cet extraterrestre vocal, Rosi s'approche de lui et lui glisse quelques mots à l'oreille. Le micro toujours collé aux lèvres, il nous glisse un regard en coin, nous salue d'un rapide hochement de tête et poursuit son laïus sans ralentir d'un poil ; je n'en espérais pas plus, je suis déjà très honorée d'avoir eu le privilège de pénétrer dans ce lieu unique, ce sanctuaire du rodéo. Mais le meilleur reste à venir, un petit instant de gloire rien que pour nous : tandis que le présentateur poursuit sa litanie dans laquelle, depuis ce matin, je n'ai pas réussi à saisir un traitre mot, grâce à un petit changement de rythme dans son débit de paroles, mon oreille perçoit en portugais les mots "touristes", "France" et je comprends donc que notre présence donne une dimension internationale au grand, que dis-je, l'immense rodéo de Vacas Gordas ! Merci Rosi, c'était vraiment une belle surprise et un grand honneur. 

    Il est maintenant l'heure d'aller chercher notre viande, elle doit être cuite à point. Effectivement, lorsque nous arrivons, les deux pièces de bœuf sont dans la position "maintien au chaud", c'est-à-dire sur le bord du barbecue, là où les braises sont éparses et la température moindre. Le lit de braises du churrasco est impressionnant et la chaleur quand on s'approche ferait bronzer un norvégien en moins de deux minutes. La viande est grillée à souhait et l'eau m'en vient à la bouche. Mélanie et Rosi attrapent chacune une brochette (version géante) et partent rejoindre le camion d'Elvio pour la découpe et la dégustation. Les voir se promener au milieu des badauds et des cavaliers avec leur morceau de viande grillée au bout d'un pieu est une scène assez inhabituelle et drôle pour moi, et Mélanie a la mine réjouie du chasseur qui vient de tomber sur du gibier et s'apprête à ramener au camp de quoi nourrir toute la tribu. 

Elvio découpe de fines tranches et nous la dévorons avec les doigts, elle est gouteuse et juteuse à souhait, c'est un vrai régal. En accompagnement, Rosi a cuisiné du pain de maïs et de blé, et du gâteau en dessert. Elvio et Rosi proposent une lamelle de bœuf à tous les amis qui passent les saluer ; malgré cela il reste un bon morceau de viande à la fin du repas mais je fais entièrement confiance à Rosi pour ne rien laisser perdre car j'ai déjà constaté qu'elle a l'art d'accommoder les restes.

Brésil, 16/11/2019 : rodéo
Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo

    Entre la toile de tente sous laquelle nous nous abritons et l'enclos où se déroule le rodéo, une foule de gens passent et repassent en permanence, à pied, à cheval, en voiture. Certains s'arrêtent pour discuter avec Elvio ou Rosi, d'autres les saluent au passage, d'autres encore, plus atypiques, viennent pour une raison bien précise. L'un d'entre eux, un homme d'une quarantaine d'années qui présente une déficience mentale et ne sait pas compter, vient s'assoir à côté d'Elvio pour que celui-ci compte l'argent qu'il possède dans son portefeuille et lui en donne le total. La scène est touchante, Elvio prend tout le temps nécessaire pour mettre les billets dans l'ordre et les dénombrer patiemment un par un sous l'œil attentif de l'homme, la scène est empreinte de douceur et d'empathie.

Un peu plus tard, tandis que nous sommes en train de manger, une femme vient s'incruster dans la conversation. Rosi lève discrètement les yeux au ciel, je sens bien qu'elle connait cette femme et j'ai comme l'impression qu'elle ne l'apprécie que très moyennement. Quelques secondes à peine plus tard, je comprends pourquoi … La femme parle d'une voix pâteuse et nous débite des phrases les unes à la suite des autres alors même que nous lui signifions que nous ne parlons pas portugais. De toute évidence, elle a dû abuser de boissons alcoolisées et finit quand même par prendre congé, non sans avoir taxé au préalable quelques cigarettes à Elvio. Je pousse un soupir de soulagement mais malheureusement, après avoir fait le tour des autres camions et probablement s'être fait congédier de bon nombre d'entre eux, elle revient à la charge. Par chance (pour moi …), elle semble se prendre d'affection pour Mélanie et ne la lâche plus, bien que cette dernière lui réponde invariablement "No entiendo". Soit la femme ne comprend pas l'espagnol, soit elle n'en a cure, toujours est-il qu'elle continue à accaparer sans relâche sa nouvelle amie ! L'apothéose est atteinte lorsque la femme propose à Mélanie son gloss afin qu'elle se refasse une beauté, je suis morte de rire mais aussi bien soulagée que ça ne soit pas tombé sur moi ...

Tandis que je vais faire un tour histoire de voir passer quelques concurrents et prendre quelques photos, Mélanie se fait aborder par deux jeunes filles, sœurs et myopathes. Elles participent elles aussi au rodéo, chacune à la hauteur de leurs capacités physiques. L'une a plus de mal à se déplacer que l'autre, mais toutes deux sont très avenantes et souriantes. Elles accostent Mélanie, repèrent son appareil photo qui détonne au milieu des smartphones, et du coup la transforment en un éclair en leur photographe officiel : un coup à pied, un coup à cheval, un coup de dos pour mieux voir le nom de l'équipe brodé sur leur chemise, un coup toutes les deux ensemble. Bref, la rencontre vire au shooting, Mélanie est de bonne volonté mais se fait carrément accaparer par les deux miss en mal de célébrité, sans compter qu'elles lui parlent à toute vitesse et en portugais bien sûr. De temps à autre, lorsque j'arrive à saisir quelques mots au vol, je traduis ce que je peux, mais je ne suis clairement pas d'une grande utilité et je ne tarde pas à repartir faire un tour du côté des corrals et des cow-boys. Lorsque je reviens vers le camion, les filles ont disparu et Mélanie affiche à mon endroit un air péteux qui agite immédiatement une sonnette d'alarme dans ma tête. Je reste un peu perplexe devant sa mine coupable jusqu'à ce que mes yeux se posent sur mon carnet de voyage, celui-là même qui ne me quitte jamais et me permet de consigner mes souvenirs et anecdotes. C'est ma mémoire, c'est mon confident, sans lui point de récit et sans lui, beaucoup de détails insignifiants qui font la richesse du voyage passeraient aux oubliettes. Elle A OSE ! La bougresse, que dis-je, la traitresse a déchiré un morceau de page de mon carnet et a utilisé mon stylo fétiche, un magnifique Bic de base parfaitement interchangeable avec ses petits camarades pour partager ses coordonnées avec les jeunes filles. Mélanie m'explique, l'oreille basse, que ce sont les filles qui ont eu l'idée et qu'elle n'a pas su comment refuser, bref, elle se justifie comme elle peut de ce sacrilège impardonnable, espérant échapper à mon courroux impitoyable. Durant les premiers instants, la pilule a un peu de mal à passer, mais, en mon for intérieur, je relativise bien vite, Il ne s'agit que d'un tout petit bout de page d'un calepin malmené par les vicissitudes du voyage, trimballé dans mon sac à dos, rempli au milieu de la poussière et des cahots, bref, le forfait n'est pas bien grave. Mais juste pour le plaisir, car l'air de chien battu de ma compagne d'aventure est hautement réjouissant, je garde un air sévère et bougon durant quelques minutes, histoire de lui faire croire que sa profanation irrévérencieuse frise le péché capital.

Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo

    Tout au long de la journée, je remarque l'omniprésence des enfants, bien souvent croisés seuls ou en compagnie d'autres enfants. Ici règne un climat de confiance, tout le monde se connait, personne ne craint pour la sécurité de ses rejetons. Puisque nous parlons de sécurité … Je suis effectivement persuadée qu'il n'y a ici aucun risque d'origine humaine pour les enfants, en revanche, je n'arrive pas à m'habituer à rencontrer en permanence des bouts de chou à cheval dont certains ne doivent pas être âgés de plus de 4 ans, sans parent à proximité, sans casque, sans sécurité aucune. Cela ne semble perturber que moi et les petits passent et repassent à toutes les allures devant nous, avec toujours du bonheur et de la fierté dans les yeux, l'esprit gaucho est ancré dans leurs gènes. Je demande à certains d'entre eux de les prendre en photo, tous acceptent, certains avec timidité, d'autres avec plaisir, puis repartent ensuit, imperturbables, vers leur destin cavalier. Certains sont tellement petits que leurs pieds n'atteignent pas les étriers, ils les glissent alors dans les étrivières ou les laissent pendre le long de la selle. Quelques enfants participent au rodéo, ne déméritant pas en comparaison des adultes, et presque tous profitent de leurs instants de liberté pour s'entrainer au lasso sur une petite vache en peluche. J'admire le mouvement du poignet, fluide et précis, le lâcher prise au moment du lancer qui bien souvent aboutit à un tir réussi. Si vous voulez voir de près les bouilles de ces gauchos en herbe, il vous suffit de cliquer sur une photo pour l'agrandir.

Brésil, 16/11/2019 : rodéo
Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo
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    Appuyée à la lice, je contemple les cavaliers qui passent au galop, prenant garde de baisser la tête lorsque le sifflement du lasso de cuir tressé se rapproche de trop près. Peter avise un monticule de terre et m'invite à y monter dessus pour avoir meilleure vue. Je trouve l'idée plutôt bonne et je m'apprête à suivre son conseil lorsqu'il éclate de rire : le tas de terre en question est une fourmilière et c'était encore une petite blague. Comme d'habitude, j'ai encore marché, avis aux amateurs …

 

    Voici un bon moment maintenant que Peter a envie de s'en aller. Il se réfugie derrière l'excuse que, si nous partons trop tard, nous n'aurons pas le temps de monter à cheval cet après-midi. Je le soupçonne en réalité de s'ennuyer ferme car le rodéo n'est pas une nouveauté pour lui comme il l'est pour nous, et, à l'inverse de Rosi et Elvio, Peter ne connait pas grand monde ici et n'a donc pas véritablement l'occasion de parler ou de plaisanter avec qui que ce soit. Il bougonne donc dans son coin, revient à la charge auprès d'Elvio en insistant sur l'heure, retourne bouder quelques minutes, vient brancher Mélanie, puis moi pour que nous intercédions auprès d'Elvio ou de Rosi, grommèle incessamment. Il n'est que 13 heures, je sais qu'Elvio a bien prévu de nous faire monter à cheval cet après-midi et je vois par ailleurs que sa femme et lui passent une excellente journée à rigoler avec leurs nombreux amis. Pour finir, j'ai bien trop de respect et de confiance en eux pour leur demander quoi que ce soit. Alors je m'amuse de l'irritation de Peter, je crois qu'il est jaloux de la bonne humeur générale et ne supporte pas d'être contrarié. Laissant Peter à sa ronchonnerie, Elvio et Rosi nous entrainent à leur suite car ils veulent nous présenter à leurs amis. Nous partons faire le tour des camions : l'un nous offre une bière, l'autre des chocolats, le troisième me parle des relations un tant soit peu houleuses entre nos deux présidents suite à une certaine remarque brésilienne bien peu fair-play sur la première dame de France … Les gens sont très amicaux avec nous et je me délecte de ces contacts humains bienveillants et inopinés.

Allez, il est temps de rentrer, Rosi donne le signal du départ, arrachant à grand peine Elvio du cercle de ses amis. Nous regagnons le camion, réunissons nos affaires et … cherchons Peter ! Ce dernier a tout bonnement disparu, nous ne le voyons nulle part. Nous partons en 4x4 à travers la zone du rodéo, et Rosi finit par le dénicher attablé un auvent en train de se faire payer une bière. Impossible de le déloger, je soupçonne le coquin de tenir sa vengeance et de nous faire poireauter intentionnellement. Du coup, politesse oblige, Rosi et Elvio acceptent à leur tour un petit coup à boire, tandis que je vais faire un dernier petit tour sur ce rodéo à l'ambiance si plaisante et si dépaysante. J'aime le pas de deux des vaches et des gauchos, l'organisation fluide et rigoureuse pour ramener les bêtes à la case de départ, les mugissements, la poussière, l'odeur des cuirs et des bêtes et je profite avec bonheur de ces dernières impressions. Je dégotte aussi, attaché à un camion dans lequel somnole son cavalier en attendant l'épreuve suivante, un cheval magnifiquement harnaché et je ne me lasse pas d'admirer les cuirs et les décorations en métal ciselé de cette selle qui a dû demander un travail considérable.

Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo
Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo

    Lorsque je rejoins mes amis, je trouve Rosi et Mélanie en plein fou-rire. Après avoir repris son souffle, cette dernière m'explique que le monsieur ici présent lui a fait la conversation en anglais et en espagnol, puis lui a proposé un coup à boire qu'elle a accepté de bon cœur. Il lui sert alors un bon verre d'un liquide transparent tiré d'une bouteille de verre sans étiquette. Mélanie considère comme acquis qu'il s'agit d'eau et porte le verre à ses lèvres d'un geste assuré. Rosi bondit alors pour la stopper, persuadée qu'il s'agit de cachaça, vu le contenant non identifié. Après quelques secondes de discussion avec l'homme ayant servi Mélanie, il ressort que la boisson proposée était bien … un simple verre d'eau ! Rosi en a été quitte pour une frayeur à l'idée que Mélanie allait s'enfiler dans le gosier une bonne rasade d'eau-de-vie à 45° alors qu'elle ne consomme habituellement que peu ou pas d'alcool. Quant à moi, je crois que je viens de rater l'unique occasion de voir Mélanie pompette ...

 

    De retour à la fazenda, Peter nous annonce que nous allons travailler le bétail à cheval cet après-midi. Je saute de joie car c'est une des principales raisons qui m'ont amenée à choisir ce voyage plutôt qu'un autre, je veux me sentir utile à cheval, faire quelque chose de mon expérience à cheval et de mes années de monte en carrière et en extérieur.

Avant que nous partions, Rodrigo, l'employé d'Elvio, installe sa fille, qui, à vue de nez doit être âgée d'un an environ, sur la selle de Boneca. La jument est attachée dans l'écurie et paisible, mais je frémis malgré tout car les parents sont du côté gauche de la jument, à plus de trois mètres de la petite. Je me dis que si elle bascule, notamment du côté droit, ils n'auront pas le temps de la rattraper avant qu'elle ne se fracasse contre le sol de pierre. Apparemment ceci n'inquiète que moi car les parents ont l'air ravi et fiers de leur petite cavalière qui se tient droite et serre ses minuscules jambes sur la peau de mouton afin de garder son assise. Je pousse intérieurement un immense soupir de soulagement lorsqu'ils la descendent, je viens de découvrir que la notion de danger était toute relative d'un pays à l'autre. Je pense qu'il n'y a maintenant aucune chance pour que je puisse voir un enfant à cheval plus jeune que ce bébé qui marche à peine.

 

 

 

Brésil, 16/11/2019 : rodéo

    Elvio nous emmène chercher une quarantaine de vaches dans la montagne. Nous les encadrons en nous répartissant derrière elles et sur les côtés et les poussons doucement dans la direction indiquée par Elvio, surveillant du coin de l'œil celles qui auraient quelques velléités d'évasion. Certains veaux sont âgés d'un jour ou deux seulement et pourtant ils suivent leur mère du mieux que leur permettent leurs pattes graciles et malhabiles. La nature est incroyable, il faut un an à un humain pour se tenir debout et encore quelques mois pour marcher correctement, ces nouveau-nés sont capables de suivre le groupe quelques heures seulement après leur naissance. Cette extraordinaire aptitude est le résultat de l'action conjointe de l'instinct de survie et de la sélection naturelle, il n'y a pas d'autre choix dans la nature. Une mère particulièrement protectrice nous donne du fil à retordre, elle attaque le chien de berger si celui-ci s'approche un peu trop de son petit, nous fait face, nous regarde d'un œil torve et pousse de drôles de petits grognements de mécontentement qui ne sont pas sans me rappeler ceux des yaks. Autre continent, autre espèce, mais langage similaire. 

Le flot des vaches coule paisiblement à flanc de coteau et m'évoque un nappage sur un gâteau, c'est pour moi un moment réconfortant et calme qui me donne la banane jusqu'aux oreilles. 

 

  

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    De retour à la fazenda, nous mettons pied à terre et séparons les veaux des mères, ce qui n'est pas une mince affaire car l'instinct grégaire pousse les animaux à rester ensemble, et l'instinct maternel les enjoint à ne pas s'écarter de leur progéniture. Nous rusons, anticipons, échouons, courons, recommençons, crions, évitons jusqu'à ce que des meuglements de désespoir nous indiquent que nous avons réussi : les jeunes d'un côté, les adultes de l'autre.

Mélanie n'est pas vraiment à l'aise dans les premières minutes, mais elle prend vite de l'assurance et finit par donner de la voix et faire rempart de son corps en effectuant de grands moulinets avec les bras pour guider les bêtes dans la bonne direction. Quant à moi, même si je ne m'occupe pas de gros bétail dans ma pratique quotidienne, je suis en terrain connu et retrouve avec grand plaisir l'odeur chaude et musquée des vaches, leurs meuglements pathétiques, leurs accélérations fulgurantes pour s'engouffrer dans la brèche, leurs regards insondables et pourtant scrutateurs et même leurs queues levées sur de liquides et odorantes bouses éclaboussant joyeusement les alentours. Chacun s'active avec entrain : qui pousse les veaux dans le couloir de contention, qui ouvre le portillon à la sortie dudit couloir, qui tient la porte du corral, je renoue avec enthousiasme avec des gestes que j'avais quelque peu oubliés. Elvio traite chaque veau contre les parasites externes en appliquant sur leur échine une dose de solution insectifuge, et il ajoute au cas par cas un antibiotique ou un traitement contre les parasites internes lorsque l'animal présente des signes de maladie ou de faiblesse. Quant à Peter, il observe, tourne, vire, surveille, propose de prendre des photos (en n'oubliant pas de laisser son doigt devant l'objectif lorsqu'il appuie sur le déclencheur …), bref, il brasse de l'air ...

Brésil, 16/11/2019 : rodéoBrésil, 16/11/2019 : rodéo
Brésil, 16/11/2019 : rodéo

    Une fois ce lot terminé, Elvio nous propose de l'accompagner pour aller chercher d'autres vaches dans la montagne. Mélanie et moi acceptons avec grand plaisir tandis que Peter préfère rester à la fazenda, en compagnie du wifi et de son ordinateur. Elvio localise rapidement le groupe de vaches qu'il cherchait, mais nous dit qu'il en manque encore quelques unes et nous entraine à sa suite à leur recherche. Effectivement, nous ne tardons pas à découvrir les rebelles, trois vaches qui se tiennent à l'écart, accompagnées de leurs petits. Tandis qu'Elvio nous explique qu'il va pousser les fugitives en direction de la fazenda, il nous propose de repartir toutes deux en autonomie pour retourner chercher le gros du troupeau et le rabattre vers lui. Il ne pouvait pas nous faire plus plaisir et ce sont donc deux cavalières qui s'éloignent au petit galop, fières comme Artaban et fendues d'un immense sourire. Je ressens à cet instant une grande jubilation, et le martèlement des sabots de Boneca résonne à mon oreille comme la plus douce des mélodies. Nous menons notre entreprise à son terme avec beaucoup de fierté et de sérieux et rentrons victorieuses avec toutes les vaches.

Nous sommes un peu plus rodées maintenant et savons quoi faire pour aider lors du traitement de ce deuxième lot d'animaux. Comme précédemment, Elvio traite toutes les bêtes avec la solution insectifuge, mais ouvre l'œil et détecte rapidement les veaux ayant un problème quelconque. L'un d'entre eux, âgé d'à peine quelques jours présente une omphalo-phlébite (infection du cordon ombilical). Elvio l'attrape, le couche et lui applique un spray antibiotique sur le nombril avant de le relâcher pour qu'il rejoigne ses camarades de jeu. L'opération n'a duré que quelques instant et pourtant, elle lui sauvera probablement la vie.

 

Brésil, 16/11/2019 : rodéo

    Un autre nouveau-né a l'arrière-train souillé par une diarrhée qui semble avoir des répercussions sur son état général. Elvio prépare pour lui une injection antibiotique et me tend la seringue avec un sourire. Je bondis à sa proposition et me précipite sur ce pauvre animal pour lui planter l'aiguille dans le muscle fessier d'un geste auguste et assuré, retrouvant en un éclair mes automatismes professionnels. Mélanie m'a dit après coup que c'était à mourir de rire, qu'elle ne m'avait jamais vu courir aussi vite que pour arracher la seringue des mains d'Elvio et me jeter sur ce petit animal sans défense avec ma piqûre à la main ; il faut croire que j'étais en manque de seringues et d'aiguilles … Histoire d'équilibrer les scores, attrapant un autre veau à l'air malingre, Elvio propose à Mélanie de réaliser sa première injection. Un tantinet récalcitrante sur les bords, elle accepte finalement de tenter l'expérience, pas vraiment rassurée. Je la guide un peu et elle s'en sort comme un chef, très fière d'avoir fait sa première piqûre et visiblement soulagée que cette opération se soit déroulée sans encombres. Son sourire est éclatant et fait plaisir à voir … C'est le moment que choisit Elvio pour venir me voir d'un air grave en me disant que ça lui fait de la peine de savoir que ce veau sera probablement mort demain des suites de l'injection faite par Mélanie. Il parle d'une voix basse et sérieuse, comme s'il me confiait une information importante et, non seulement je comprends l'intégralité de ce qu'il me dit, mais en plus, par chance, je saisis immédiatement son intention. Du coup, je surenchéris en disant qu'effectivement ce pauvre veau n'a pas eu de chance de tomber sur Mélanie, mais que c'était probablement son karma. Je vois Mélanie se décomposer, me demandant avec des trémolos dans la voix ce qu'elle a fait de mal et pourquoi ce petit animal risque de bientôt passer de vie à trépas. Nos airs graves l'alarment, elle panique quelques instants, son regard va de l'un à l'autre quémandant une explication ou une parole rassurante. Elvio et moi faisons perfidement durer le plaisir quelques secondes de plus avant d'éclater de rire. Cet homme est un génie, nous l'avons bien eue !

 

    Il nous explique qu'il faut maintenant rentrer tous ces veaux récalcitrants dans un enclos à l'écart des autres afin de les surveiller dans les jours à venir. Je m'attèle à la tâche avec ardeur et ressors de l'aventure essoufflée et couverte de bouse. Pour le plus grand amusement d'Elvio, j'use de tous les stratagèmes possibles pour déplacer ces petits réfractaires au regroupement par classe d'âge, tirant les uns, poussant les autres, avançant en brouette ou en portant d'autres encore. J'adore ce type de tâche, j'aime sentir la douce toison des veaux sous mes doigts, humer leur odeur, contempler leurs grands yeux écarquillés. Vu le sourire que j'arbore, je me demande encore comment je suis parvenue à ne pas me mettre de la bouse sur les dents car j'en suis couverte de la tête aux pieds ! 

    Rosi pousse un cri d'horreur en voyant l'état de mon T-shirt lorsque je traverse la cuisine car je suis effectivement crottée comme une gueuse, mais je n'en ai cure, mon bien-être n'a d'égal que l'immonde fumet que je dégage ...

 

    La douche n'est vraiment pas du luxe ce soir et je reste longuement sous le jet réconfortant et purifiant. Je prépare ensuite un petit sac avec des affaires pour trois jours car demain, une nouvelle aventure nous attend : nous partons pour trois jours d'itinérance durant lesquels nous dormirons dans une autre fazenda.

 

 

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À propos

Partage de nos voyages en famille en Mongolie centrale, en Equateur, en Aragon (Espagne), en Islande, au Myanmar