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Partage de nos voyages en famille en Mongolie centrale, en Equateur, en Aragon (Espagne), en Islande, au Myanmar

25 Nov

Myanmar, 01/11/2017 : miasmes

Publié par Picpic70

    Le monastère s'éveille au lever du jour, me tirant de ma torpeur nocturne : des voix résonnent, le parquet craque sous les pas des fidèles et des moines, un coq célèbre d'un chant retentissant le retour de la lumière. Il fait franchement frisquet et ma couche de gras n'a pas réussi à me faire totalement oublier la dureté du sol et la finesse de la natte … Bref, ce n'est pas la meilleure nuit que j'aie passée quant à la qualité du sommeil, mais c'est certainement une des plus exceptionnelles quant au cadre. Il est 6h20, Christian et les filles dorment encore. Une dizaine de minutes plus tard, ils émergent tour à tour et Christian nous raconte alors sa nuit pour le moins mouvementée.

Légèrement farceurs sur les bords, les boyaux de Christian, qui s'étaient jusqu'ici tenus à carreau, ont décidé qu'un séjour dans un pays exotique sans turista n'était décidément pas une aventure véritable. Profitant du jour où les toilettes étaient pour le moins éloignées (200 mètres environ), ses intestins se sont brutalement réveillés en pleine nuit. Bravant la température polaire (il y a des choses qui n'attendent pas), Christian se lève en pleine nuit, attrape la lampe de poche et sort de notre chambrette, pressé par l'urgence de la situation. Arrivé à la porte du monastère, il se heurte à un problème de taille : impossible de sortir du temple, la porte est verrouillée ! Ce n'est qu'après de longues et fébriles recherches que mon pauvre mari parvient finalement à trouver le loquet à actionner pour déverrouiller la sortie et se précipiter à l'autre bout du terrain rejoindre les toilettes tant espérées ! Tout compte fait, je n'ai pas dû dormir si mal que cela car je ne me suis rendue compte de rien …

 

    Des villageois ont amené la pitance des moines pour la journée. En ville, les moines sortent pieds nus pour quêter leur nourriture du jour, mais ici, dans ce coin reculé de la campagne, ce sont les habitants des environs qui amènent spontanément et quotidiennement  les repas aux moines afin que ces derniers n'aient pas à parcourir de nombreux kilomètres pour trouver de quoi se sustenter et n'aient ainsi pas à s'embarrasser avec ces préoccupations bassement matérialistes. 

La vue qui m'attend au sortir du monastère est tout simplement somptueuse. Le temple est bâti sur un promontoire, de ce fait le regard porte très loin dans la vallée. Le fond fumeux de l'air adoucit les teintes du paysage et m'offre de fabuleux dégradés de couleurs. L'air est frais, l'ambiance est paisible, des hommes et des femmes s'affairent sereinement à entretenir et embellir leur lieu de culte. Un petit groupe de femmes de tous âges babillent en préparant de jolis bouquets de fleurs fraîches, d'autres déroulent des tapis dans le monastère, d'autres encore arrangent les autels destinés à recevoir les offrandes ; tout doit être parfait, une cérémonie de mariage doit avoir lieu aujourd'hui même dans ce lieu isolé et hors du commun.

C'est le moment de partir, Win nous conduit auprès du moine en chef afin de le saluer. Nous en profitons pour faire une donation au monastère, selon un rituel bien précis. Je prends garde à ne pas trop m'approcher du moine car il lui est interdit de toucher une  femme et je ne souhaite pas le mettre dans une situation délicate. Le moine, Win, Christian et moi nous plaçons en cercle, et chacun d'entre nous attrape un côté de l'offrande. Le moine accepte d'un regard notre présent et nous souhaite dans sa langue une bonne fin de voyage. Il fait ensuite signe à Emilie de s'approcher et prend sa main dans la sienne. Ses yeux noirs la scrutent, la dévisagent, la transpercent, la protègent. Ce moment est d'une telle intensité qu'il semble durer une éternité, mais je pense qu'en fait seulement quelques secondes se sont écoulées dans  cet échange silencieux et émouvant. Il ne sourit pas, et pourtant il n'est que lumière. Je sens, je ressens l'infinie sagesse et la bonté de cet homme façonné par des années d'ascèse et de prières, son existence même me bouleverse.

Myanmar, 01/11/2017 : miasmes

    Nous plions bagage et nous nous mettons en route, accompagnés de deux locaux. Win a décrété qu'il avait trop mal aux articulations pour se joindre à nous, à la marche à pied il a préféré la moto. Pour ma part, je me réjouis de cette nouvelle randonnée au cœur de la campagne. Je suis par ailleurs agréablement surprise par notre condition physique ce matin, à peine quelques raideurs au démarrage viennent nous rappeler nos six heures et demi de marche d'hier. Je suis très fière de ma famille et de ce que nous sommes en train d'accomplir tous ensemble. La descente est rude et je suis très vigilante à ne pas déraper ou me tordre la cheville sur ce chemin argileux très glissant. Malgré mes chaussures de marche, mes pieds patinent fréquemment et je ne peux m'empêcher d'admirer l'agilité de nos deux guides qui, chaussés de simples tongs, ne glissent pas une seule fois ! Je rigole intérieurement en pensant que pour ma part, si j'avais été équipée de tongs dans cette descente infernale, je serais arrivée en bas avec les pieds partagés en long dans le sens de la longueur. 

Cette promenade paisible à travers forêt et rizières nous mène sur les berges d'un grand lac naturel où pullulent hérons, grenouilles et libellules. Au détour d'un chemin, un imposant troupeau de buffles apparait, cheminant vers d'autres horizons. Les nonchalants bovidés avancent d'un pas tranquille sur le sentier, guidés par le paysan qui ferme la marche, équipé d'une badine. La plupart sont indifférents à ma présence, quelques uns montrent des signes d'inquiétude mais l'un d'entre eux, poussé par la curiosité, s'approche de moi et me hume longuement. Je tends ma main, j'effleure doucement son museau humide agrémentée de poils drus, l'impétrant n'est pas farouche. Rappelé à l'ordre par son propriétaire par un petit coup de baguette sur les fesses, il part rejoindre ses congénères et s'éloigne de moi au petit trot. 

Myanmar, 01/11/2017 : miasmes
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Myanmar, 01/11/2017 : miasmesMyanmar, 01/11/2017 : miasmes

    Nous retrouvons Win frais et dispos qui nous emmène visiter la grotte de Pindaya, immense cavité naturelle célèbre dans tout le pays pour ses  quelques 9000 statues de Bouddha. Les statues portent chacune ou presque une plaque gravée indiquant le nom et l'adresse de leur donateur. Il y en a de toutes les tailles, de tous les styles, de toutes les couleurs (même si les statues recouvertes d'or prédominent), chaque anfractuosité de la paroi rocheuse est exploitée pour recevoir l'une d'entre elle. De petits couloirs de la largeur d'un homme s'enfoncent parfois en oblique dans les profondeurs de la caverne, menant à de minuscules salles propices à la méditation où il est impossible de se tenir debout ou allongé. Je glisse mon regard dans l'une d'entre elle (à défaut de glisser mon corps, car je ne suis pas certaine de pouvoir me glisser sans encombres dans un goulet aussi étroit), la cavité exiguë est elle aussi remplie de bon nombre de statuettes. A défaut de trouver ce lieu beau, je le trouve singulier. Les richesses naturelles du lieu (stalactites, drapés, colonnes …) sont malheureusement occultées par cette multitude de représentations de Bouddha qui par endroit forment de véritables dédales. La sobriété du roc a fait place au faste de l'or, l'ordre naturel du lieu a été bouleversé par la Foi, répondant ainsi aux attentes d'un grand nombre de fidèles. 

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    La ferveur se mêle à la curiosité, moines et dévots côtoient les touristes de tous poils. Nous sommes dans un lieu de culte, nous marchons donc pieds nus sur le sol humide parfois recouvert de tapis antidérapants en plastique vert. La foule est très dense, l'atmosphère très chaude et le degré d'hygrométrie fort élevé, j'invoque en mon for intérieur Sainte Mycose afin qu'elle me protège de tous les miasmes qui doivent grouiller sur ce sol moite … Il y a des jours où je me dis qu'il vaudrait mieux ne pas avoir de notions de microbiologie !

 

    Je retrouve avec bonheur l'air libre, cette accumulation de personnes et d'objets dans ce lieu confiné et transpirant ne m'enchante pas, même si je ne regrette pas d'avoir visité un endroit aussi étonnant. De nombreuses échoppes s'étalent à la sortie de la grotte, encore une fois ce lieu de culte est également un lieu de vie et de commerce important pour la population  locale.

Myanmar, 01/11/2017 : miasmesMyanmar, 01/11/2017 : miasmes

    Ma maîtrise de la langue anglaise conjuguée au super accent de mon interlocuteur me pose à nouveau un problème aujourd'hui. Au restaurant, le serveur me propose, entre autres, un "chicken with paix au Népal". Je le fais répéter, mais rien à faire, l'employé me propose toujours la même chose. Je trouve le concept très zen et dans la droite ligne du bouddhisme, mais je reste malgré tout dubitative quant à l'efficacité que pourrait avoir ce plat au poulet sur la paix dans le Monde… Je finis par aviser un menu sur la table, et la lecture de celui-ci m'éclaire sur la composition précise de ce plat pacificateur : il ne s'agit pas de "chicken with paix au Népal", mais bien d'un bien plus banal "chicken with pineapple"... Quelle déception ! Rien que pour ça, je vais prendre du porc, et toc !

 

    Nous visitons une fabrique d'ombrelle, ainsi qu'une manufacture de papier avec des inclusions de fleurs séchées. Le savoir-faire des artisans est immense et j'aime à contempler leur dextérité.

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Myanmar, 01/11/2017 : miasmes

    Nous voilà repartis en voiture pour rejoindre notre hôtel situé au bord du lac Inle, à 2 heures de route. Win nous enjoint de monter dans la cabine du pick-up, tandis que lui-même et l'organisateur du transfert s'installeront dans la benne à l'arrière. A son grand désespoir, les filles et moi préférons à nouveau voyager à l'arrière avec les bagages. Confortablement adossée à mon sac à dos, je profite au plus près du spectacle de la vie quotidienne : buffles, zébus, écoliers espiègles et bondissants, mamies installées en amazone à l'arrière des scooters, estancots en tous genres, véhicules divers et bruyants … Les couleurs fusent, les bruits explosent, des scènes de vie défilent sous mes yeux à la vitesse de notre véhicule. La plupart du temps, les regards croisés en une fraction de seconde se transforment en sourire : sourires édentés des aïeuls, sourires rougis par le bétel des travailleurs, sourires éclatants des enfants, sourires timides des jeunes filles, sourires surpris des automobilistes, tous sont similaires et pourtant si différents ! Seul ombre au tableau, nous sommes encore tombés sur le cousin du cousin de Fangio : notre chauffeur ne lambine pas en chemin, il a le pied vissé sur le champignon et double allègrement les autres véhicules, n'hésitant pas pour cela à rouler à toute vitesse sur le bas-côté en terre, soulevant au passage des nuages de poussière. La route à double-sens est à peine plus large qu'un autocar et j'apprécie grandement de ne pas être à l'avant de la voiture, ça m'évite ainsi de voir arriver le danger en face …

    Nous arrivons malgré tout entiers à notre hôtel et je me jette avec frénésie sous la douche afin d'éliminer toute la poussière accumulée durant le trajet. Le contraste est saisissant avec la nuit précédente : le confort spartiate du monastère fait place au luxe d'une chambre d'hôtel propre et douillette et, depuis le cinquième étage, la vue sur la ville et les temples des alentours est plaisante.

    

Myanmar, 01/11/2017 : miasmes

      Le temps de décompresser et nous voilà partis en exploration dans les environs. Mon expédition n'est pas dénuée d'intérêt personnel car, en arrivant dans la ville en voiture, j'ai repéré un panneau "Massages traditionnels" et dès qu'il s'agit de papouilles en tous genres, je suis capable de presque tout, y compris me balader de nuit dans une ville inconnue. Je veux repérer le salon de massage et demander les tarifs afin de m'offrir un petit plaisir demain. Nous voici donc déambulant dans des ruelles assez sombres, sans lampe de poche bien sûr car nous avons encore nos réflexes d'européens habitués à l'éclairage public. Nous suivons un panneau "Massages" qui nous emmène aux limites de la ville, mais il faut finalement se rendre à l'évidence, il n'y a pas plus de salon de massage par ici que de poils sur le dos d'un pingouin, et nous finissons par faire demi-tour. Je cache mon dépit, il faut maintenant nous mettre en quête d'un souper … Tant pis … Mais la chance me sourit car, sur le chemin du retour (différent de celui de l'aller), une femme nous salue sur le bord du chemin et nous demande si nous souhaitons un massage. Avant que nous ayons eu le temps de dire ouf, nous voici installés sur la terrasse en bambou d'une maisonnette à laquelle on accède par une planche jetée en travers d'un passage fangeux. A peine quelques instants plus tard, la situation évolue encore et je me retrouve avec une tasse de thé vert dans une main et une banane dans l'autre. Il n'y a pas à dire, ces gens savent recevoir ! La femme nous demande combien de personnes souhaitent avoir un massage, et après une brève concertation familiale, Mathilde décide de se joindre à moi tandis qu'Emilie et Christian reviendront nous chercher dans une heure, à la fin de la séance. Le temps d'un coup de fil de la part de la patronne et deux masseuses débarquent de nulle part, il est temps pour Mathilde et moi-même d'entrer dans la cabane de bambou où 4 matelas sont alignés au sol. Deux masseuses sont déjà à l'œuvre sur deux jeunes filles sur les matelas du fond, la femme nous enjoint donc de nous installer sur les deux premiers. Mathilde et moi nous nous allongeons chacune sur un matelas, habillées, ne sachant pas véritablement ce qui nous attend. Le massage démarre aux pieds et progresse jusqu'à la tête, aucun coin de mon corps n'y échappe. Grâce aux doigts agiles de ma masseuse qui rentrent bien dans la viande, je sais exactement quels muscles ont été mis à contribution lors des trois jours de trek. La masseuse sent exactement les tensions de mes chairs, elle appuie et insiste sur les zones contractées jusqu'à leur reddition, ce qui ne va pas sans souffrance en certains endroits. Je dois avoir un petit côté masochiste, car malgré la douleur de certains points, je sombre bientôt dans un état de bien être absolu. Les yeux fermés, j'ouvre mes autres sens à ce qui m'entoure. Je sens la discrète et sucrée odeur de noix de coco de l'huile de massage, parfois effacée par l'effluve plus âcre de la spirale anti-moustique qui brûle sur la terrasse. Mes oreilles captent les cris stridents des grillons qui résonnent à l'extérieur de la maisonnette, les aboiements furieux de deux chiens qui se défient avant de se battre, le chuchotement des masseuses qui discutent entre elles à voix basse, le chant d'un jeune homme qui s'accompagne à la guitare non loin de là. Mes sens sont décuplés par ma décontraction, j'ai l'impression que mon esprit s'ouvre au monde extérieur bien plus que d'habitude. Il n'y a aucun objet superflu dans cette bicoque, aucun luxe, aucune atmosphère aseptisée, aucun faste dans la décoration, juste la dextérité des masseuses qui dénouent peu à peu les tensions de mes muscles et effacent la fatigue de mon corps. Je m'abandonne complètement, le temps semble n'avoir plus aucune emprise sur moi...

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et le massage se termine déjà, à mon grand regret. C'est le moment de payer, et je ne sais pas du tout à quoi m'attendre car je me suis laissée embarquer dans cette aventure sans en demander le prix. Je m'attends au pire et je reste bouche bée devant la somme demandée : 6000 kyats, soit un peu moins de … 4 € par personne. Le prix est tellement dérisoire par rapport au bonheur qu'il m'a apporté que je laisse un bon pourboire ; qu'il est parfois bon de se laisser parfois porter par l'aventure !

    Comme convenu, Emilie et Christian nous ont rejoint et nous filons ensuite en direction d'un marché local qui propose quelques babioles et des stands de restauration. Sur des barbecues de fortune, grillent des épis de maïs, des poissons entiers, des brochettes de cœur de volaille, des saucisses de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Nous n'avons pas très faim mais la vue des ces étals est un vrai plaisir pour les yeux et le nez et l'ambiance de ce petit marché nocturne est plutôt sympathique. Nous nous asseyons pour boire un cocktail et c'est au moment où je vois le barman verser de la glace mixée dans nos verres que je me dis qu'il va falloir que je pense à prier Sainte Amibe en plus de Sainte Mycose … Tandis que je suis en pleine réflexion sur les différents manquements à l'hygiène alimentaire réalisés ces derniers jours, un chien isolé attire mon attention. Il hoche la tête en cadence, comme pour marquer le tempo de la musique diffusée par les haut-parleurs, et sa démarche ébrieuse me donne l'impression qu'il danse. Ce n'est que lorsque j'aperçois le discret filet de bave qui pend de sa babine que je me rappelle que 1 000 personnes meurent encore chaque année de la rage au Myanmar ...

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